Chers amis,
Il est des moments où aucun choix n’est facile et où le refus de choisir est impossible. C’est dans ces moments de grands troubles collectifs et intimes que l’on doit à soi-même et aux autres une sincérité radicale.
Le premier sentiment qui me traverse est – disons-le – un sentiment de colère. Oui, un sentiment de profonde colère car la France n’avait pas à vivre cela. Rien n’était nécessaire dans ce qui nous arrive et la folie d’un homme seule nous a plongés dans ce chaos politique et moral dont on ne cerne pas encore toutes les implications, toutes les répercussions.
On raconte que Néron contemplait Rome en flammes en récitant des vers et en jouant de la lyre. Emmanuel Macron sourit-il ces jours-ci en regardant notre pays s’enfoncer dans la crise ? Est-il fier et satisfait d’avoir joué le destin de la France aux dés alors que rien d’autre que son orgueil blessé ne l’obligeait à dissoudre l’Assemblée Nationale ?
Nous n’en savons rien et cela n’a plus d’importance au fond. Ce que nous savons par contre, c’est que nous sommes présidés par un adolescent qui s’amuse à craquer des allumettes dans une station essence sous les vivats énamourés de trois conseillers obscurs. Et c’est aussi que seule doit désormais compter à nos yeux l’absolue nécessité de refermer les portes de l’Enfer qu’il a ouvertes, c’est-à-dire d’empêcher la prise du pouvoir par l’extrême-droite le 7 juillet, 300 députés du Rassemblement National à l’Assemblée, Jordan Bardella Premier Ministre, Thierry Mariani Ministre des Affaires étrangères, Marion Maréchal à l’éducation nationale et Eric Ciotti à l’intérieur…
Oui, dans moins d’un mois, la France peut être gouvernée par la famille Le Pen et ses affidés. Que veut dire cette phrase dont on peine encore à saisir le sens lorsqu’on la prononce?
Elle veut dire que la principale puissance militaire du continent sera dirigée par des petits télégraphistes du Kremlin. Elle veut dire la déconstruction méthodique du projet européen et la remise en cause de l’état de droit (la promesse est déjà faite de « marcher sur le Conseil constitutionnel »). Elle veut dire la privatisation du service public de l’audiovisuel (soyons clairs: sa vente à Vincent Bolloré) ou le tri des malades à l’hôpital avec la fin de l’AME…
Je regarde autour de moi et je me demande si nous avons tous perçu, intégré, digéré la nature de la menace et la gravité de l’instant. Dans un moment de bascule aussi fondamental, le premier devoir d’un politique ou d’un citoyen est un devoir de vérité. Nul ne peut être absolument certain d’avoir raison, mais personne n’a le droit de mentir quand l’essentiel est en jeu. Or feindre de se réjouir de la « parole rendue au peuple » comme tous ces apparatchiks défilant sur les plateaux télés ou faire croire que l’union des gauches montée à la hâte pour résister au pire est un mariage d’amour comme le font les chauffeurs d’estrade, ce serait mentir. Et la seule promesse que je peux vous faire, c’est de ne pas mentir.
Je comprends donc le trouble de nombreux électeurs qui ont voté le 9 juin pour la voie sociale-démocrate, écologiste et pro-européenne que j’ai ouverte pendant la campagne des européennes. Je les croise dans la rue, je les vois dans le train, je lis leurs lettres. J’entends et je ressens leur désarroi et leur vertige. Au plus profond de mon être. J’aimerais leur dire (vous dire en fait) le principe simple qui guide mes choix et mes actions depuis ce dimanche 9 juin qui nous fit passer si vite du bonheur à la stupéfaction, de l’espoir à l’angoisse : lorsque l’extrême-droite est aux portes du pouvoir, hiérarchiser les périls devient ma règle intangible de conduite. Et qui peut décemment croire que la principale menace sur la République vient d’une France Insoumise divisée et diluée dans une large coalition électorale dont elle n’a pas la maîtrise quand le Rassemblement National seul peut conquérir la majorité absolue à l’Assemblée dans moins de trois semaines?
Dans aucune autre démocratie européenne nous n’aurions eu à faire face à une telle situation: un fait du prince ouvrant la voie à une campagne de vingt jours avec un système électoral – le scrutin majoritaire à deux tours – réduisant de facto l’expression du pluralisme. Nous avions littéralement cinq jours pour tout organiser et les appareils ont fait ce qu’ils savent faire: des accords électoraux. Il était alors de notre responsabilité, de ma responsabiltié de faire en sorte que cette unité d’action contre l’extrême-droite intègre nos lignes rouges, nos conditions sine qua non sur le soutien à la construction européenne, les livraisons d’armes à l’Ukraine, la nature terroriste des attaques du 7 octobre, la lutte contre l’antisémitisme ou le rejet de la brutalisation de la vie politique.
Nous avons bataillé sans relâche pour faire en sorte que ce Nouveau Front Populaire ne soit pas une Nupes 2 et il est clair cette fois aux yeux de tous, y compris les siens, que Jean-Luc Mélenchon ne sera pas Premier Ministre, que la ligne dominante n’est pas la sienne et qu’aucun comité officieux insoumis ne contrôle ou ne domine une campagne que personne ne contrôle ni ne domine à vrai dire. Alors oui, les purges sont insupportables, oui, des candidats insoumis ont franchi toutes les limites de l’acceptable, il faut le dire, je le dis sans relâche et continuerai à le dire. Et oui la gauche doit affronter ses démons, les fractures qui la minent et les violents qui la salissent. Et nous les affronterons.
Le trouble est plus que légitime, il est nécessaire, logique, vital même. Mais les leçons de morale sont tout sauf morales si elles conduisent à consentir au triomphe du pire. La seule morale qui doit nous guider ces jours-ci est celle de l’extrême urgence. Elle suppose de fonder ses choix sur une analyse clinique de la situation du pays. Le macronisme est mort ce 9 juin 2024. Il n’a ni la force, ni la légitimité pour faire barrage à l’extrême-droite. Seule la gauche peut être la digue dont la démocratie française a tant besoin. A condition que nous soyons responsables pour tous les autres et que nous appelions au second tour à voter pour chaque candidat républicain faisant face au RN. Je le fais et le ferai, sans me soucier des décisions des appareils.
Forts de notre score aux élections européennes, fidèles à l’espérance que nous avons fait naître, nous lutterons ensemble pour qu’émerge de ce chaos un nouvel espace démocrate, écologiste et humaniste dans notre pays. Sans ciller, ni céder sur rien. J’y consacrerai toute mon énergie dans les semaines, les mois, les années qui viennent.
Mais d’abord, il y a cette urgence absolue dont je parle et qui doit toutes et tous nous obséder. D’abord, nous devons empêcher la France de sombrer dans quelques jours. D’abord je ferai campagne sans pause pour que le Rassemblement National ne dirige pas notre nation le 7 juillet 2024. Voilà la mère de toutes les batailles, le combat qui rend possible tous les autres. Il reste peu de temps, très peu de temps.
Chacun, chacune fait ses choix en conscience. L’Histoire nous regarde et jugera nos décisions.