Effrayant.
Il y a peu d’autres mots pour décrire ce qui est arrivé aux Etats-Unis. Même si c’était hélas prévisible. Ce vote devrait nous interpeller sur l’avenir, car après le Brexit, après la quasi victoire de l’extrême droite en Autriche, la victoire de Orban, la victoire du PIS en Pologne, la victoire et l’attitude de Erdogan en Turquie, la montée du mouvement 5 étoiles en Italie, la montée de l’Afd en Allemagne et de l’UDC en Suisse, le triomphe eurasiatique de Poutine … la tendance est claire. Autoritarisme et nationalisme sont en marche.
A chaud est il possible d’avoir quelques éléments d’analyse ? Il me semble que oui.
La sociale démocratie a été incapable depuis 20 ans de lutter contre les méfaits de la mondialisation. Et ce plus encore après la crise des subprime et la violence du choc connu par les classes moyennes dans toute l’Europe et aux Etats Unis… Violence qui a créé un véritable déclassement. La lecture du dernier ouvrage de Louis Chauvel a été pour moi éclairante tant elle montre la monopolisation du pouvoir économique par une classe supérieure âgée qui a laissé la classe moyenne se paupériser et les jeunes affronter les pires difficultés face à l’emploi. Car oui les classes sociales sont de retour depuis 20 ans et les classes moyennes sont à la dérive. Et il semble que Obama n’a pas su enrayer la montée fulgurante des inégalités aux Etats-Unis.. ; et qu’en Europe les gouvernement socio démocrates n’ont pas réussi à coordonner leurs efforts pour infléchir cette tendance. Créant frustration et perte du sentiment de progrès social. Le vote non pas des plus pauvres pour Trump mais celui des peu diplômés à revenu moyen illustre cela assez bien. La sociale démocratie a laissé ainsi le seul discours hostile à cette violence économique aux mains des nationalistes et antimondialistes de tout poil…qui sont souvent très libéraux (suppression des impôts pour les plus riches, augmentations des impôts indirects les plus injustes..) mais camouflent ça par une couche de protectionnisme ou d’anti libre échange en terme de commerce extérieur. Souvent bloqués par des mécanismes institutionnels de plus en plus complexes et fragmentés, (cohabitations eaux Etats Unis, contrainte européenne en Europe, absence de réelles majorités dans les instances gouvernementales..) la capacité d’action des dirigeants socio démocrates a été très limitée. Et a donné une image de pouvoir impuissant face à la bureaucratisation et technocratisation du monde. Sentiment d’impuissance accentué par le fait que nos élites déconnectées (elles encore le monde dans les catégories des années 60 à 80) ne se rendent pas compte du choc qu’ont connu les ouvriers puis dans les années 80-90 et que sont en train de connaître les classes moyennes. Vivant dans un autre monde et avec bien peu de moyens d’action ils n’ont pas su répondre à cette population de plus en plus fragilisée et précarisée. Aussi cette Amérique ou cette France périphériques se sont éloignés du politique.
Car il semble que les élites dites sociales démocrates sont à bout de souffle…et que les populismes puissent se développer par ce biais. Les français ont sous estimé le poids chez les américains du discrédit sur Clinton, à cause de ses liens avec les multinationales, les fondations, les gouvernements étrangers. Mais c’est aussi ici, en France avec l’affaire Cahuzac que le peuple de gauche ne se reconnaît pas dans des personnes qui incarnent cet autre monde de vendeurs d’influence, lobbyistes, avocats d’affaires… entre grandes entreprises et gouvernements, qui gagnent des millions d’euros en défendant tous les intérêts sauf ceux du peuple. Des représentants aux modes de vie d’un « autre monde » où les pains au chocolat coûtent 10 centimes…. Oui la sociale démocratie n’a pas su incarner un renouvellement là où une Clinton qui a participé à toutes les combines et mensonges en est l’incarnation, en étant dans les arcanes du pouvoir depuis plus de 30 ans. Incarnant un système incestueux ou les petits arrangements et les connivences sont légions. Un petit monde où mariages et enterrements se font entre supposés ennemis …comme le montrent les arguments utilisés par Trump pour expliquer la présence d’Hillary à son troisième mariage.
Sans devenir un Savanarole, je crois que la sociale démocratie n’inspirera la confiance que quand ses dirigeants incarneront une certaine proximité avec le peuple et son mode de vie et sauront faire preuve d’une certaine transparence. Et si les quelques mesures imposées par le gouvernement sur le non cumul ou les déclarations de patrimoine vont dans le bon sens elles sont pour l’instant trop limités dans leurs périmètre d’application. Les représentants sociodémocrates doivent aller plus loin sur ce chemin, sinon les électeurs choisiront le plus médiatique, le plus éruptif …qui réussira à faire croire qu’ils avec le peuple contre ce « eux »… dénigré.
Mais je suis loin de penser que le phénomène qui touche toute l’Europe est un simple phénomène économique. Les enquêtes montrant d’ailleurs que les filets de sécurité sociale ont souvent protégé les plus faibles et résistent malgré les mutations du capitalisme. C’est aussi une crispation identitaire et nationaliste à laquelle nous assistons. Dans une Europe vieillissante se sont aussi des facteurs culturels qui expliquent cette tendance qui est une véritable réaction thermidorienne contre les droits de l’homme, le droit des femmes et des minorités. N’ayant pas su défendre nos valeurs universelles avec forces alors que nos sociétés sont menacées par des intégristes religieux nous sombrons dans un autoritarisme de plus en plus affiché, une xénophobie de plus en plus forte qui instrumentalisent nos valeurs républicaine contre les plus faibles. Les progressistes et démocrates ayant succombé au relativisme n’ont pas su tenir un discours clair sur l’immigration de masse entraînée par les chaos du monde. Les progressistes ont été sourds ou angéliques sur un sujet qui tétanise les peuples occidentaux… Ils n’ont pas su associer la défense de nos valeurs d’accueil et de solidarité et une fermeté contre un phénomène incontrôlé. Ils n’ont pas pris l’ampleur des délires identitaires, de l’insécurité culturelle, de la montée de la peur et de conceptions paranoïaques qui irriguent le corps social. Peur qui s’est répandue dans tous les pans de la vie sociale : survie de la planète, empoisonnement alimentaire, peur de devenir SDF, menace criminelle…. Les progressistes n’ont pas vus venir la diffusion massive des théories complotistes qui jouent un rôle si important aux Etats-Unis et chez nous. Nous n’avons pas vu venir les mutations que les nouvelles technologies ont entraîné dans des opinions moutonnières soumises au buzz et à la communication virale de rumeurs et propos délirants. Cette ambiance infantilisante laissant des propos délirants sans contradictions a permis à Trump de vampiriser le temps de cerveau disponible des électeurs en faisant un florilège d’horreurs et de mensonges comme toutes les forces populistes en Europe. Monopolisant et épuisant l’énergie psychique du peuple. Car oui ce monstre doux comme l’appelle Rafaele Simone peut expliquer que Bepe Grillo et son mouvement 5 étoiles en faisant des discours anti euro , anti immigré, écolos, pro démocratie directe soit aux portes du pouvoir en Italie..ou que Trump et ses 15 millions de followers aient eu du succès en racontant des horreurs…. Ces nouveaux moyens de communications ont fortement transformé le monde des idées et les structures symbolique des individus…ils ont fait des individus éloignés les uns des autres soumis aux communautés virtuelles qui reforment les opinions pré existantes les plus radicales, plus qu’elles n’ouvrent les esprits. Une société où la télévision a remplacé la vie sociale et véhiculé les plaisirs du consumérisme et du fétichisme de la marchandise à un degré inégalé. Un monde de people, de publicité où les femmes de candidats sont d’ancien top modèle que tout le monde a vu dénudés…. un monde où les couloirs de publicité créent des désirs factices. Laissant place aux pulsions les plus archaïques et où la virilité et l’exaltation de la force deviennent des arguments politiques. Un effacement du monde réel… un monde factice toujours inaccessible qui fait qu’alors que la richesse produite en France a été multiplié par presque 4 en quarante ans les gens vivent dans la frustration…. Un monde que la gauche n’a pas su dénoncer laissant la place à une droite people médiatique et liftée, acoquinée aux grands patrons de média…
Si la gauche n’assume pas d’autres valeurs dans le champ culturel et une autre façon d’être au monde et aux autres… la bataille sera perdue.
A nous de relever de défit.